23 - Astarté, une Déesse Phénicienne… 2/5

Avant de décrire les différentes formes de la Déesse rencontrées dans les pays où elle s’est implantée, il convient de la dépeindre dans ses attributions initiales. Astarté se présente comme une divinité complexe, fruit d’un syncrétisme dont les composantes sont difficiles à isoler : sur des substrats primitifs sont venus se greffer des éléments essentiellement phéniciens, mais aussi égyptiens, grecs et latins. Toujours est-il qu’elle occupe une place de choix dans son panthéon d’origine.

Astarté y possède plusieurs attributs types. Citons par exemple le lion (le plus répandu), le cheval, le sphinx et la colombe. Chaque attribut représente une des fonctions de la déesse. Ainsi, le cheval mettra en valeur le caractère guerrier de la divinité (surtout en Egypte) alors que la colombe évoque la fonction de protectrice des morts. Outre les animaux, la Déesse a un autre attribut : en sa qualité de Déesse astrale, elle est toujours représentée par sa planète, un disque renfermant une étoile, en général à 8 raies.

Astarté possède diverses fonctions dont les deux principales consistent à veiller à la reproduction et à la fécondité d’une part, à protéger les soldats en tant que Déesse de la guerre et de la victoire d’autre part.

Dans sa fonction de Déesse de l’amour et de la reproduction, Astarté est souvent représentée sous les traits d’une Déesse nue, et ceci dans de nombreux pays où elle s’est implantée et non uniquement en Phénicie. Nous la retrouvons également donnant le sein à un enfant, reprenant le thème, fréquent en Egypte, d’Isis allaitant Horus.

Parlant des fonctions de la Déesse en Phénicie, Georges Contenau écrit : "C’est, dans toute l’Asie occidentale, la personnification de la fécondité, la Déesse de la maternité et de la fertilité, la Déesse-mère. En Assyro-Babylonie, elle réunissait à ces caractères celui de Déesse des batailles, mais jamais ces représentations n’étaient confondues. C’était deux aspects divins bien nets dont les images étaient différentes. En Phénicie, le premier aspect prévaut".

En effet, la Déesse Astarté est une puissance guerrière : elle participe à certains combats et protège les soldats. Pour garder intact le territoire qui lui était consacré ou pour en chasser l’envahisseur, elle se devait de prendre les armes et d’exterminer tous ceux qui cherchent le mal de ses fidèles et de son peuple. Ainsi, on ne peut voir d’opposition entre d’une part sa fonction d’amour et de Déesse de vie et d’autre part sa fonction de Déesse guerrière, qui est une fonction de Déesse de mort : c’est la même divinité qui répand la vie chez ses fidèles et la mort chez les ennemis de ces derniers. Ajoutons que cette Déesse est également remerciée lors des victoires.

Ces deux dernières fonctions, c’est-à-dire la Déesse de l’amour, de la fécondité et la Déesse de la guerre, de la victoire et des soldats, constituent les deux principales attributions d’Astarté, laquelle dispense aussi ses bienfaits dans d’autres domaines, à des degrés moindres. Nous pouvons mentionner comme fonctions secondaires la protection des morts et celle des marins, ainsi que la protection et la guérison des malades.

Toutefois, une divinité n’existe pas uniquement à travers des fonctions, aussi diverses soient-elles. Tout un univers de données matérielles et concrètes accompagne son culte. On peut définir cet ensemble de données comme la manifestation évidente et visible du culte rendu à cette divinité.

Tout d’abord, le culte de la Déesse se pratique dans des temples. Le temple phénicien se compose en général d’un enclos à ciel ouvert, d’une chapelle placée au milieu de cet enclos et précédée d’un autel. D’autres dépendances peuvent répondre à des besoins particuliers du culte et du rituel, telles que des petites loges destinées à la prostitution sacrée. Cependant, il reste très peu de vestiges de temples en Orient. Il est donc difficile de définir un type particulier. Prenons le temple situé à Sarepta (l’actuel village de Sarafand), à 15 kilomètres au sud de Sidon. De plan rectangulaire (6,40 mètres sur 2,26 mètre), il possède une pièce contiguë au mur nord qui devait être utilisée comme sacristie. A l’intérieur du temple, et tout au long de trois des quatre murs, se trouve une banquette haute de 30 centimètres sur laquelle on déposait les offrandes. L’autel (1,02 mètre sur 0,92 mètre) est placé à l’intérieur, contre le mur du fond devant lequel fut trouvé un socle, peut-être pour une colonne de bois. Il existe également des temples phéniciens en dehors de Phénicie, par exemple à Tas-Silg à Malte ou encore à Pyrgi en Etrurie.

Précisons que les temples d’Astarté ne sont pas uniformes et stéréotypés. Il n’en est pas de même en ce qui concerne son personnel religieux, qui reste quasiment identique d’un bout à l’autre de la Méditerranée. Un document fondamental nous permet de connaître le personnel religieux d’Astarté : c’est la double inscription de Kition, retrouvée dans le temple du même lieu sur l’île de Chypre. Il s’agit de la tablette des comptes du temple d’Astarté pour un mois, qui énumère toute une série de gens en rapport avec les différentes activités du temple phénicien et nous permet ainsi de saisir la vie intérieure et le fonctionnement de ce sanctuaire.

On trouve parmi eux des magistrats, des chantres, des sacrificateurs, des boulangers, des barbiers, des bergers, des prostituées… De plus, nous pouvons sans grand doute affirmer que les temples d’Astarté étaient en général desservis par les mêmes classes de prêtres et de prêtresses qui assuraient le service aux temples des autres divinités. Joseph Plessis a tenté de décrire ces différentes classes constituant le personnel religieux en distinguant un grand prêtre, diverses catégories de prêtres secondaires, des pleureurs, des prêtres castrés… Outre le personnel masculin, certains ordres de femmes sont également voués au culte de la Déesse.

Parmi ces femmes, les plus connues sont les prostituées sacrées. En effet, en plus des offrandes matérielles, Astarté demande le sacrifice de personnes humaines, non qu’on doive les immoler devant son autel, mais la Déesse de l’amour réclame des femmes (et parfois des hommes) qui veulent la servir, par le sacrifice de leur beauté. Cette pratique occupe une importance particulière dans le culte de la Déesse Astarté. La prostitution sacrée est un rite qui vise à multiplier la force génératrice d’Astarté, dans l’espoir de garantir le renouveau perpétuel de la nature, la fécondité des femmes et l’accroissement du cheptel. Les hiérodules, ou courtisanes, faisaient partie des prêtresses et n’exerçaient la prostitution qu’à l’intérieur de l’enceinte sacrée, offrant leurs gains à la divinité. Pour exemple, nous observons à cet effet, dans le sanctuaire de Pyrgi, de petites loges destinées à la prostitution sacrée le long d’une des parois intérieures.

Toutefois, si l’introduction de cette pratique dans le culte d’Astarté a pu être inspirée par un sentiment religieux réel, elle a sûrement amené à des excès et favorisé une décadence morale partout où elle était pratiquée en détournant les fidèles de la pratique initiale teintée de religiosité. De la déesse de la fécondité, Astarté est devenue pour beaucoup la déesse de la volupté, des plaisirs charnels débridés.

A la physionomie initiale de la déesse que nous venons de définir, chaque peuple a ajouté, à l’occasion, des traits secondaires suivant son caractère propre, les conditions morales, sociales ou politiques dans lesquelles il vivait, et enfin les influences étrangères auxquelles il se trouvait soumis. Ce sont ces variations que nous allons à présent étudier en analysant l’implantation du culte d’Astarté en Méditerranée chez ces différents peuples.

Audrey Boitte.

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