22 - La Déesse Astarté, Aphrodite et Vénus… 1/5
Les assimilations les plus répandues qui concernent la déesse Astarté se produisent avec la Grecque Aphrodite et la Romaine Vénus. Une grotte située en Phénicie nous prouve l’existence d’un culte à Aphrodite-Astarté à l’époque hellénistique. Il s’agit de la grotte de Wasta25. Une dédicace grecque à Ptolémée et Aphrodite, gravée sur une des parois de la grotte et placée sous une niche certainement destinée à accueillir une image divine de la déesse, nous permet de dire que la divinité grecque est assimilée à Astarté, car aux confins de la Phénicie, Aphrodite ne peut être qu’Astarté. C’est en effet la grande déesse phénicienne que l’on retrouve alors à cette époque sous le nom d’Aphrodite depuis Byblos jusqu’à Gaza. L’assimilation entre les deux déesses s’est naturellement appuyée sur le domaine d’action qui leur était commun, celui de l’amour et de la fécondité.
Les Romains ont, eux aussi, assimilé une de leurs déesses à Astarté : il s’agit de Vénus. Le culte rendu à la divinité phénicienne dans le temple d’Eryx est devenu, pour les Romains, celui de Vénus Erycine. A l’origine, il semble que ce sont les Phéniciens de Carthage qui ont introduit le culte d’Astarté en Sicile. Puis, sous l’influence des différentes occupations, hellénistique et romaine, la déesse honorée est devenue Aphrodite Erycine pour les Grecs et Vénus Erycine pour les Romains. Robert Schilling mentionne que la ville de Sicca Veneria, en Tunisie, passait pour une fondation sicilienne. On y honorait une Astarté qui, selon l’auteur, serait une identification de la déesse de l’Eryx26.
Un débat s’est élevé autour de cette question : est-ce la déesse de l’Eryx qui s’est répandue en Tunisie ; ou bien est-ce Astarté qui s’est déplacée de l’Afrique vers la Sicile ? Certains, comme Robert Schilling, affirment que le culte de Vénus Erycine s’est exporté vers les terres tunisiennes à l’époque romaine et est devenu le culte d’Astarté, par le jeu des assimilations. Toutefois, l’inscription retrouvée à Mididi et datant du Ier siècle avant J.C. atteste de la présence de la divinité sous le nom d’Astarté à époque tardive, donc romaine.
Si l’Astarté présente en Tunisie était en fait la Vénus d’Eryx, elle y serait certainement nommée "Vénus", ou bien "Astarté d’Eryx". Or, ce n’est pas le cas. Ce document nous invite donc à penser qu’il s’agit bien de l’Astarté "de Phénicie" et non de l’Astarté d’Eryx. Néanmoins, il n’est pas impossible qu’à Mididi, nous trouvions Astarté la Phénicienne, et à Sicca Veneria, Astarté la Sicilienne. En revanche, l’autre point de vue sur la question est le suivant : Astarté, implantée en Tunisie par les Phéniciens, s’est exportée vers la Sicile, profitant des contacts fréquents qu’entretenaient les Carthaginois et les Siciliens. Elle y fut honorée sous son nom sémitique quand les Phéniciens occupaient l’île. Puis, selon les diverses occupations du lieu, Astarté fut honorée sous le nom d’Aphrodite à l’époque hellénistique, et de Vénus à l’époque romaine.
Dans le cas d’Astarté/Aphrodite/Vénus, le phénomène de syncrétisme fut assez complexe : d’une part, lorsque les Romains s’emparent en 248 av. J.C. de notre ère du Mont Eryx et de sa citadelle, ils considèrent que sa Déesse est pour eux un signe de protection contre les Carthaginois ; ils insistent d’emblée sur sa capacité de victoire, une fonction qui, par ailleurs, appartenait bien au registre d’Astarté.
Mais il y a plus : l’assimilation antérieure d’Astarté à Aphrodite a également joué un rôle dans ces jeux d’identification, à un moment où les Romains reconsidèrent avec intérêt le mythe de leur ascendance troyenne. La Vénus Erycine résulte ainsi d’un croisement d’interprétations diverses : les aspects purement phéniciens sont oubliés, tandis que la Vénus romaine s’enrichit d’attributions nouvelles (Victoire ; liens avec la Grèce), répondant mieux aux intérêts actuels des Romains.
Le culte de la Déesse Astarté a gagné l’Egypte au début du XVIème siècle, en même temps que Reshep, Anat et Qadesh, pour y être assimilée à Sekhmet puis devenir, avec Anat, l’épouse de Seth. Mais l’assimilation à cette dernière n’est pas la plus répandue. En effet, la Déesse égyptienne à laquelle Astarté est le plus souvent assimilée se nomme Isis.
Certaines représentations d’Astarté donnant le sein à un enfant rappellent beaucoup les représentations d’Isis allaitant Horus. Ces dernières sont nombreuses et courantes en Egypte. Notons également que ce type de représentations ne s’est pas limité à l’Egypte, mais s’est répandu, au moins, au Proche-Orient. En Egypte, au Musée du Caire, une statuette, qui daterait du Vie siècle avant J.C., apporte un exemple de l’assimilation d’Astarté à Isis. Elle représente Isis tenant Horus sur ses genoux et sa dédicace phénicienne gravée derrière le siège de la déesse se lit "Gersaphon, fils d’Azor, fils de Slrt, homme de Lydda, pour sa Dame, pour Astarté".
Le style de cette statuette est purement égyptien. Isis-Astarté est couronnée du disque solaire soutenu par des cornes de vaches et est vêtue d’une longue robe jusqu’aux pieds27. Cette représentation, certainement égyptienne, confirme l’existence d’une assimilation entre les deux déesses, notamment sur le territoire égyptien. Astarté entretient également un lien étroit avec la déesse Hathor, à laquelle Isis est fortement unie. Sous le Nouvel Empire, Isis fut étroitement liée à Hathor dont elle emprunta les ornements caractéristiques : les cornes de vache avec le disque solaire.
Nous retrouvons en effet beaucoup de représentations d’Isis avec cette coiffure si spécifique. Et ce n’est pas un hasard si elle porte cette coiffure en particulier lorsqu’elle est en présence d’Horus. En effet, le nom de la déesse Hathor signifie "Maison d’Horus", ce à quoi correspond son idéogramme qui montre le faucon Horus dans une maison. Dans les temps anciens, la déesse du ciel était considérée comme la mère d’Horus, le dieu solaire, jusqu’à ce qu’Isis la remplace dans ce rôle. Les deux divinités ont donc entretenu des rapports très étroits qui expliquent les similitudes de leurs représentations. Ainsi, lorsqu'Astarté est assimilée à Isis, elle l’est aussi à Hathor dans une certaine mesure.
Les principales assimilations de la déesse phénicienne ne se limitent pas à Vénus, Aphrodite ou Isis-Hathor. En effet, un autre cas, cette fois-ci plus complexe, s’est également propagé dans toute la Méditerranée : il s’agit de Tanit, déesse protectrice de Carthage, dont la fonction principale concerne la fécondité. On a longtemps cru, faute d’attestation de Tanit en Orient, que la déesse était originaire d’Afrique du Nord, Carthage ayant fourni un grand nombre d’inscriptions portant son nom. Tanit serait l’adaptation africaine de l’Astarté orientale. Ceci expliquait que les noms des deux déesses se retrouvent sur des inscriptions carthaginoises.
Mais plusieurs découvertes ont amené à réfuter cette hypothèse. En effet, des attestations de la présence de Tanit ont été retrouvées en Orient, dont les datations ne laissent aucun doute sur son origine. Par exemple, une inscription fait référence à une statue dédiée à Tanit-Astarté28. La statue à laquelle cette étiquette était attachée n’a pas été retrouvée, mais la mention de Tanit, ici, au VIIe siècle avant J.C., en plein cœur de la Phénicie, permet de considérer la déesse comme originaire de cette région et non de l’Afrique du Nord. Tanit est associée ici à Astarté, la grande déesse phénicienne.
Toutefois, le culte d’Astarté l’emporta sur celui de Tanit parmi les Phéniciens.
A l’inverse, à Carthage, Tanit devint la déesse la plus importante du panthéon.
Malgré tout, comme cette étiquette provenant de Phénicie, d’autres inscriptions mentionnent des dédicaces aux deux déesses à la fois. Nous les retrouvons unies à plusieurs reprises, notamment à Carthage où il semble qu’un temple ait été consacré aux deux déesses. Si l’existence de relations entre les deux déesses est certaine, leurs rapports ne sont pas du même ordre que ceux entretenus par Astarté avec Vénus, Aphrodite ou Isis. En effet, il apparaît que Tanit et Astarté ne sont pas des divinités assimilées : elles sont plutôt associées.
Nous venons de voir, à travers les différentes assimilations que connaissait Astarté, que la déesse phénicienne n’était pas une divinité isolée mais, au contraire, qu’elle s’insérait parfaitement dans les différents contextes religieux rencontrés. En effet, Astarté, où que son culte se répande, a communié avec des divinités qui appartenaient aux panthéons locaux.
Après avoir étudié les principales contrées de la Méditerranée où le culte d’Astarté s’est propagé, une conclusion s’impose d’elle-même : Astarté n’est pas considérée partout de façon identique ; elle ne dispense pas les mêmes bienfaits selon les lieux ; les différentes fonctions que nous lui attribuons et qu’elle possède sur sa terre natale ne se retrouvent pas toujours et toutes ensemble selon les régions. L’interrogation du début, à savoir "Peut-on dire qu’il existe une ou des Astarté "? prend maintenant tout son sens.
Devant les multiples visages que nous présente la Déesse à travers tout le bassin méditerranéen, nous pouvons répondre qu’il existe bien des Astarté.
Audrey Boitte.
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