Enfer et Ciel…

Dans Le silence de la nuit,
Dans le soir gris et informe
Quand la pensée est assaillie de souvenirs
Sans-amour qu'elle ne peut laisser,

Quand l'aube fait une beauté soudaine
À un ciel couvert et maussade,
Que lentement pleure la pluie
Et que le vent répond Sinistre,

Toujours devant moi, sa face apparaît
Et sa voix est à mon oreille,
Belle, triste, cruelle,
Avec ses yeux d'azur austères.

Figure assombrie jadis si éclatante
Avec au-dedans la lumière et la vie
Quand l'âme arrivait perlant au-dehors
Et les lèvres rouges riaient au péché,

D'où viens-tu avec ce visage de marbre,
De quel monde imprégné de douleur
Où nous payons le prix de la passion
Par une loi que dédaignent nos cœurs ?

Bannis-le de toi, Ô Déesse!
Avec un sourire gagnant ta délivrance
De ces mornes imaginations,
Elève-toi dans la paix céleste.

Des lieux vides d'amour
Que nos craintes mortelles créent,
Va où te réclament tes cieux naturels
Et t'attendent les dieux, tes frères.

Puis descends vers moi radiante devenue,
Éclairant le sol de la terre
Avec les pieds qui le ciel illuminent
Quand tourne la danse grandiose

Et les dieux d'en haut battant la mesure
Suivent l'entrelacs qui tient les étoiles
Dans le cercle de leurs lumineuses orbites
Le long des routes éternelles.

En bas tout n'est que confusion
De désirs qui luttent et crient,
Les uns prohibés, d'autres parvenant
Après l'extase à l'angoisse.

Mais au-dessus est notre place radieuse
D'où par le doute nous déchûmes,
Seul vers le Ciel voulant tendre
Et n'atteignant que l'Enfer
Que le coeur soit le roi et maître,
Que le cerveau exulte et peine,
Ne crois pas au bien et au mal,
Dieu et Nature réconcilie.

Ainsi, Ô douceur rebelle,
Pris-tu les armes pour la joie et l'amour.
Là consomme-les ! Prends possession
De notre séjour rayonnant d'en haut.


Sri Aurobindo

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