Mourir d’Amour… à Deux,


Marie-Madeleine, un Amour infini…

Page 171 du Livre de Jacqueline Kelen.


Je ne saurai jamais écrire que des prières – déplorations, cantiques de joie ou anathèmes – prières d’amante à l’amant, d’homme à homme, d’homme à Dieu.

A tant marcher sait-on si l’enfance est avant ou tout au bout du chemin. Si le creux du bois en appelle au corps des amants, à la prière du saint ; l’Amour qui évide, creuse sa barque ; l’immense soif par-delà l’étroite nécessité de vivre. Devrons-nous aller encore et encore, creux, boisés, refleuris et humides, devrons-nous aller fabuler ailleurs ?

Je ne crois pas à la mort, j’ai du mal à contenir la vie, je ne crois qu’aux résurrections.

J’ai souvent rêvé de faire l’Amour sur un lit de fleurs, des lauriers-roses de préférence ou en abondance. Et j’ai rêvé, avec la même intensité, de faire l’Amour sur un bûcher. Bûcher ou lit de roses, cela me semble équivalent pour un corps dédoublé, veuf, enfin uni par la brûlure et les senteurs. Le corps embaume d’être consumé, et l’Amour est fournaise d’odeurs.

La croix du Christ était en pin, ce bois qui pleure et poisse comme la femme, miel odorant. Elle eût pu être en bois de cèdre ou de santal, de ces essences précieuses qui dégagent leurs parfums en étant calcinées.

Et si la Vie s’était cassée aux charnelles confluences ?

Le grand mystère : comment l’homme peut-il aimer Dieu à ce point, avec cette obstination, cette folie, jusqu’au martyre, malgré le mal, la guerre, la torture, la souffrance ; et malgré lui-même, l’homme borné, dérisoire, sauvage, malgré sa propre boue et poussière ?

La réponse facile, donnée depuis des siècles : c’est précisément à cause de son étroitesse (de vivre, d’aimer, de sentir et même de souffrir) qu’il invoque, s’invente un Dieu à vénérer. Cette réponse n’en est donc pas une et ne justifie pas l’amour indéfectible qu’hommes et peuples ont gardé pour Dieu à travers les siècles, que ceux-ci fussent d’or ou de ténèbres

On ne sait quel est le plus fort, le plus étonnant : de l’indéracinable Amour de la divinité pour les créatures humaines, ou de l’amour constant de l’homme pour Dieu. Auprès de Dieu, l’homme a bien appris sa leçon d’amour, et lui rend trait pour trait. Le piège se referme, le cercle brûlant : Dieu, malgré ses grands airs parfois de seigneur courroucé, malgré ses foudres et son indifférence, ne peut se détacher de l’homme, il l’aime, il est pris de passion sans mort pour lui ; et l’homme non plus n’arrive pas à se lasser de Dieu.

Egalité totale ; seule possibilité par l’amour. Alors peu importe de savoir qui a commencé le jeu et pourquoi il commença. Il fallait que l’on fut deux, différents juste assez pour adorer et haïr cette différence ; que chacun fut tour à tour bête ou dieu, pierre ou plante, mais toujours deux rivés l’un à l’autre, inconcevables l’un sans l’autre.

L’amour de Dieu, l’amour de l’homme : comme le jour et la nuit, la plaine et la montagne (et Dieu n’est pas obligatoirement du côté du jour et l’amour de l’homme n’est pas forcément descente vers la plaine).

Si je dois me tuer pour sauver l’impossible, pour hurler que l’Amour demeure invaincu, qu’il est l’unique certitude, oui je me tuerai, sans peur, sans remord.

Le discours masculin : « On ne meurt pas d’Amour »…
mais je vous dis, moi, la Femme, je vous dis qu’on ne s’en remet pas,
qu’on n’en revient jamais, du voyage et de l’éblouissement.
Je vous dis qu’on en meurt, même seule, même abandonnée, même leurrée.

Hommes, qui n’osez vivre l’exil
Ni la déchirure, l’absolue pauvreté,
Le reniement de tous.

Hommes qui surveillez votre tout petit feu ;
ça peut toujours servir ; attention à ce qu’il
se propage pas dans les blés et les bois,
Les cheveux et les linges.

Si, on meurt d’Amour…
Pas de votre mort à vous, pourrissement banal.
Seul, inconsolé d’avoir fait seul le voyage…
Ou à deux, pour rejoindre le cercle des étoiles.


Jacqueline Kelen.

Version PDF de ce Texte de Croix de Lumière...