Paul Éluard était-il un Homme lesbien ?


La publication en 1984 des lettres que toute sa vie Paul Éluard envoya à Gala, et qu'elle garda soigneusement fut une révélation. La correspondance amoureuse de celui qui fut peut-être le plus grand poète de l'Amour de tous les temps, de celui dont toute la vie fut Amour, de celui qui EST amour était certes importante. Un Éluard différent de celui de l'hagiographie puritaine à l'usage des écoles apparaissait, bien sûr, mais aussi une personnalité étonnamment originale ayant intégré dans sa sensibilité profonde les plus hautes valeurs des révolutionnaires de l'Amour.

En fait nous apparaît en Paul Éluard une figure typique de ce qu'on appelle un Lesbien.

Le terme français de lesbien semble être apparu en 1978 dans le titre d'un roman de François Coupry. Il était en usage sous sa forme anglaise (he-lesbian) au début des années 70 dans le milieu des psychothérapeutes et sexologues californiens ainsi que chez les féministes américaines du Women's Lib' et y caractérisait complètement un profil sexuel et affectif masculin bien précis.

Le Profil de l'Homme Lesbien…

Il comporte tout un ensemble de traits caractéristiques toujours associés et interdépendants :
- Image de la femme vécue comme complice, égale et active, féminisme..
- Anti-jalousie, générosité naturelle et altruisme.
- Pratiques amoureuses lesbiennes (complicité amoureuse totale, recherche et réalisation des désirs de l'autre et de son plaisir, don réciproque et double découverte, amour-communication / échange).
- Amitié amoureuse qui ne dissocie pas la communication culturelle et affective de la tendresse physique : donc rejet du dualisme judéo- chrétien.
- Attirance d'abord pour la personnalité et donc vécu sensuel d'anatomies non dissociées de toute la personne et non systématiquement conformes aux canons officiels.
- Tendresse et grande sensibilité physique et morale souvent fragilisante.
- Refus des valeurs et attitudes de rivalité / domination.
- Et culture de l'amitié totale, généreuse.

Il s'agit en fait de l'existence intégrée dans un individu de sexe masculin et hétérosexuel d'un ensemble de valeurs féminines qui le conduisent à avoir aux femmes, bien qu'homme, une relation analogue à celle des lesbiennes.

Le Profil de l'Homme Machiste…

On définit habituellement les caractéristiques machistes inscrites dans la personnalité, la conscience et la sensibilité sexuelle par un ensemble de valeurs intériorisées :
- Les hommes et les femmes sont fondamentalement différents en tout.
- Il est avilissant pour un homme d'effectuer des tâches jugées féminines.
- L'homme ne doit pas être sensible ni vulnérable.
- L'homme doit rivaliser avec les autres afin de tenter de les dominer.
- La rudesse, la brutalité sont des valeurs nobles.
- La mission de l'homme est de gagner la vie de sa famille, de la nourrir.
- La compagnie des hommes est seule valable, la compagnie des femmes ne peut être que sexuelle.
- La sexualité est pouvoir et plaisir : domination des femmes et rivalité avec les autres hommes.
- L'homme doit savoir tuer ou risquer d'être tué sous peine de lâcheté.

Le profil lesbien se définit ainsi en totale opposition aux valeurs machistes. Bien plus qu'une simple particularité sexuelle, il apparait comme celui des grands révolutionnaires de l'Amour. Il s'agit en fait, purement et simplement et à la suite de circonstances qu'il est intéressant d'analyser, de l'intériorisation chez certains hommes des valeurs amoureuses de la révolution affective et sexuelle.

Mais Comment peut-on être un Homme Lesbien ?

On sait que le profil sexuel, affectif, culturel des humains est pour l'essentiel constitué socialement par la famille, l'environnement, le mode de vie, comme d'ailleurs l'essentiel de la personnalité. En fait nous touchons à la définition même de l'être humain. Ceci est même vrai en grande partie pour la morphologie. Gauguin l'avait remarqué dans Noa Noa, avant August Bebel et les féministes contemporaines.

Divers auteurs et auteures se sont intéressés à la genèse de ce type d'hommes longtemps très minoritaires. Il s'agit de garçons qui ont été élevés en milieu de tradition libertaire, qui ont rencontré à l'adolescence une amie de forte personnalité, ou qui ont été élevés en milieu féminin. Dans ce dernier cas, on peut avoir parfois un profil homosexuel.

Pour Éluard, il est évident que sa découverte de la femme en la personne de Gala a joué un rôle déterminant. Dans l'univers particulier d'un sanatorium, une jeune fille étrangère, libre, cultivée, complice et égale, une véritable amie avec qui avoir de riches échanges. Au début du siècle, de telles jeunes filles étaient quasi-inexistantes en France. De plus, Paul était d'une famille de tradition ouvrière de banlieue avec un père sympathisant socialiste comme il était habituel à l'époque dans ce milieu.

Ayant assumé tous les aléas de ce siècle tragique resté très puritain malgré certaines fausses apparences, Paul Éluard a ainsi vécu dans sa sensibilité profonde, physiquement, affectivement, une forme supérieure de sensibilité amoureuse qui fut celle des grands révolutionnaires et utopistes de l'Amour.

Déjà dans cette fameuse réponse au questionnaire de 1922 « faire l'amour assis, femme à cheval » qu'on cite habituellement au titre de simple gaudriole se trouve, malgré le triste jeu obligé qui réduit tout l'Amour à une position parmi les 32 ou les 101 suivant les auteurs, une vision égalitaire qui fait de cet acte un des moments de la communication. Même un tel choix est porteur de sens comme d'ailleurs le montrait une célèbre affiche hippie ou encore l'exprime la figuration indienne de l'Amour Dieu/Déesse Shiva/Shakti.

On reste stupéfait de l'unité profonde de sensibilité qui s'exprime dans les écrits, toujours poétiques, de Paul Éluard de ses premiers écrits de Clavadel à ceux de l'après-guerre.

Éluard ne « Prend » pas une Femme…

Ou une amie qui se « donnerait » ou qui lui « accorderait ses faveurs » comme l'a écrit un auteur célèbre à propos de la grande Lise Deharme. Éluard aime et ne consomme pas l'autre. Il aime une autre égale, semblable et différente, il l'aime heureuse, dans SES désirs à ELLE, même pour d'autres...

Dans un entretien de 1982, Léonor Fini rapporte que Paul Éluard avait horreur de la jalousie. Il disait qu'il fallait partager ses amantes et ses amants avec des amis...

Ayant su se libérer du terrible dualisme judéo-chrétien dont souffrent toujours tragiquement les femmes et aussi les hommes de notre civilisation, il ne dissocie jamais les jeux de l'Amour physique, dont il assume la beauté des sentiments qu'ils expriment. On a parfois parlé à tort de la pudeur De Paul Éluard. Il s'agit d'un malentendu. On sait que les sexologues considèrent souvent la pudeur et la jalousie comme des névroses d'origine sociale. En fait, Éluard n'était pas seulement dionysien mais dionysiaque. Pour lui, les gestes, les jeux de l'Amour sont beaux et conduisent à l'emploi de beaux termes à l'opposé de la paillardise scatologique qui fait partie du système puritain. Donc si Éluard refuse l'emploi de mots vulgaires et orduriers pour l'Amour physique, ce n'est pas par pudeur, bien au contraire.

Pénélope...

Annexe :

Était-ce un homme qui marchait devant moi ? Chez ces peuplades nues, la différence entre les sexes est bien moins évidente que dans nos climats. Nous accentuons la faiblesse de la femme en lui épargnant les fatigues, c'est à dire les occasions de développement, et nous la modelons d'après un idéal menteur de gracilité.

A Tahiti, l'air de la forêt ou de la mer fortifie tous les poumons, élargit toutes les épaules, toutes les hanches, et les graviers de la plage ainsi que les rayons du soleil n'épargnent pas plus les femmes que les hommes. Elles font les mêmes travaux que ceux-ci, ils ont l'indolence de celles-là : quelque chose de viril est en elles, et en eux quelque chose de féminin.

Cette ressemblance des deux sexes facilite leurs relations, que laisse parfaitement pures la nudité perpétuelle, en éliminant des mœurs toute idée d'inconnu, de privilèges mystérieux, de hasards ou de larcins heureux, toute cette livrée sadique, toutes ces couleurs honteuses et furtives de l'amour chez les civilisés.



L'Amoureuse de Paul Eluard…

Elle est debout sur mes paupières
Et ses cheveux sont dans les miens,
Elle a la forme de mes mains,
Elle a la couleur de mes yeux,
Elle s'engloutit dans mon ombre
Comme une pierre sur le ciel.
Elle a toujours les yeux ouverts
Et ne me laisse pas dormir.
Ses rêves en pleine lumière
Font s'évaporer les soleils,
Me font rire, pleurer et rire,
Parler sans avoir rien à dire

Nuits partagées… de Paul Eluard…


Au terme d'un long voyage, peut-être n'irai-je plus vers cette porte que nous connaissons tous deux si bien, je n'entrerai plus dans cette chambre où le désespoir et le désir d'en finir avec le désespoir m'ont tant de fois attiré. À force d'être un homme incapable de surmonter son ignorance de lui-même et du destin, je prendrai peut-être parti pour des êtres différents de celui que j'avais inventé. ...

Pour me trouver des raisons de vivre, j'ai tenté de détruite mes raisons de t'aimer. Pour me trouver des raisons de t'aimer, j'ai mal vécu.



À quoi Leur servirai-je ?



Version PDF de ce Texte de Croix de Lumière...