22 - Etre féministe Aujourd’hui...

Inutile, extrémiste, dépassé, agressif... le combat féministe ne remporte pas l’adhésion des foules. Face à l’accusation d’extrémisme, ma première réaction consiste en général à me payer une bonne rigolade jusqu’à ce que je réalise que la personne qui la profère est tout à fait sérieuse. Bien que je défie quiconque de me citer à quel défilé féministe un brave type aurait été jeté dans la Seine, ou en quelle année des colleuses d’affiches féministes auraient dégommé un innocent, le mot " féminisme " continue de faire trembler.

Alors, quitte à en décevoir quelques-uns, je me vois dans l’obligation de faire deux ou trois révélations utiles. Non, le féminisme n’a pas pour vocation l’éradication partielle ou totale du genre masculin. Aucune féministe n’a, à ma connaissance, castré de vrai mâle de toute sa vie. Nous ne possédons pas d’armes de destruction massive, ni de camps d’entraînement en Afghanistan. A vrai dire, nous n’avons même pas de camionnette pour nos manifestations. Les féministes n’ont que leurs mots. Et elles en usent.

Un Combat Actuel...

Le féminisme consiste à œuvrer pour qu’hommes et femmes soient égaux en droits et en devoirs dans toutes les sphères de la société. Tout défenseur des valeurs démocratiques devrait donc, au même titre que l’anti-racisme, s’en réclamer. Pourtant il n’en est rien. Ou plutôt si... mais seulement en Afghanistan ou dans l’une de ces charmantes contrées où l’on échange les femmes contre des chèvres. Bref, les féministes sont invitées à aller se faire voir sous d’autres latitudes.

Ici, le combat contre le machisme est supposé sans raison d’être parce que les femmes sont censées avoir obtenues les même droits que les hommes. Le féminisme est soi-disant illégitime. Personnellement, je serai ravie qu’il le soit. Le problème est que l’égalité n’existe que sur le papier. Les salaires des femmes sont encore, à poste équivalent, inférieurs de 25% à ceux de leurs collègues masculins. La violence machiste n’est pas un mythe : chaque mois, en France, cinq femmes meurent des coups et blessures infligés par leur conjoint ! Le viol touche plus d’une Française sur dix. Le harcèlement sexuel ou moral sur le lieu de travail n’a pas disparu. Le sexisme de la publicité et la prostitution prouvent que le corps des femmes est encore un consommable comme un autre : il sert à vendre... quand il n’est pas carrément vendu ! Le partage des tâches ménagères reste théorique : en cinquante ans, la participation quotidienne masculine a, en moyenne, progressé de dix minutes. Sans oublier l’omniprésence masculine dans les hautes sphères du pouvoir politique... Bref, hors de l’Afghanistan, on n’est pas pour autant sortis de l’auberge.

En quoi ça Consiste...

La romancière américaine Rebecca West écrivait dans les années 50 : "Je n’ai jamais réussi à définir le féminisme. Tout ce que je sais, c’est que les gens me traitent de féministe chaque fois que mon comportement ne permet plus de me confondre avec un paillasson"...

Plus de cinquante ans après, ces propos ont pour moi une résonance familière. Etre féministe, c’est déjà commencer par s’interroger sur soi-même. Considérer son comportement dans toutes les sphères de la vie sociale (y compris privées, du couple et de la famille), c’est remettre en question ce que tout le monde semble tenir pour immuable, fatal ou nécessaire.

L’action féministe, c’est d’abord le dialogue avec les proches, hommes et femmes. Surtout ces dernières, car avoir conscience des constructions sociales sexistes qui nous gouvernent, c’est déjà s’en libérer. Christine de Pisan suggérait au XIVe siècle (sic !) que la majeure partie des différences constatées entre hommes et femmes n’était pas le fait de la nature mais bien de l’éducation, orientée selon le sexe. Aujourd’hui, cela demeure un des principaux messages féministes et il se heurte encore, en 2003, aux plus vives réticences. Pour résumer, il y a, d’un côté, le nécessaire de la parfaite ménagère qui figure systématiquement dans les pages "Filles" des catalogues de jouets. De l’autre, les PDG des plus grosses entreprises françaises, toujours des hommes. Faire la corrélation entre ces deux réalités, c’est déjà du féminisme !

C’est aussi rétablir ce que j’appellerais une certaine vérité historique, car les femmes sont les grandes oubliées de l’histoire. Cet oubli systématique est grave car il contribue au dénigrement, et, pis encore, à l’auto-dénigrement des femmes. Les féministes se font donc le devoir de rappeler que les femmes ont eu une place décisive à des moments clef des grandes luttes humaines, souvent pour être renvoyées à leurs fourneaux une fois la bataille remportée. La féminisation des titres et des noms de métiers, loin d’être une peccadille ou un caprice, va dans ce sens : rendre les femmes visibles là où on cherche à les nier.

Aujourd’hui, le féminisme doit intégrer de nouvelles problématiques. Celles des banlieues, par exemple, où le machisme est à l’origine d’une véritable terreur exercée sur les femmes. Qu’elles se disent féministes ou pas, les filles des quartiers commencent à sortir du silence, montrant leur ras-le-bol de l’ordre machiste. Elles lancent l’appel "Ni putes ni soumises". Elles marchent sur toute la France. Que l’on vienne ou non de ces quartiers, en tant que féministes, nous sommes concernées et marchons avec elles.


Écrit par une Chienne de Garde...



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