La Cigale et la Fourmi...

La Cigale, ayant chanté tout l'été, se trouva fort dépourvue quand la bise fut venue : pas un seul petit morceau de mouche ou de vermisseau. Elle alla crier famine chez la Fourmi sa voisine, la priant de lui prêter quelque grain pour subsister jusqu'à la saison nouvelle."Je vous paierai, lui dit-elle, avant l'Oût, foi d'animal, intérêt et principal". Mais la Fourmi n'est pas prêteuse : c'est là son moindre défaut."Que faisiez-vous au temps chaud ? dit-elle à cette emprunteuse"?"Nuit et jour à tout venant, je chantais, ne vous déplaise"."Vous chantiez ? J’en suis fort aise. Eh bien! Dansez maintenant".

Monsieur de la Fontaine arrêta là sa prose sans se douter de la suite qu’allait provoquer sa dernière tirade.

Cigale retourna vers ses amies, Sauterelle, Scarabée, Criquet, Abeille et Coccinelle qui, comme elle, avaient le ventre bien vide. Toutes s’approchèrent d’elle et lui demandèrent comment s’était passé la rencontre avec Fourmi... Elle m’a dit de danser, raconta Cigale... Je ne sais pas ce que ça veut dire mais nous ne pouvons plus chanter, il fait trop froid. Nous ne savons plus quoi faire alors danser est certainement la dernière chose qu’il nous reste à faire. L’une de vous sait-elle comment on s’y prend pour danser ?

Personne ne savait... Grillon dit :"Moi, je sais battre le rythme mais je ne sais pas danser"... Libellule :"Avec mes ailes, je peux créer du vent et faire bouger les feuilles mais je ne sais pas danser"... Sauterelle :"Moi, je sais sauter très haut et très loin mais je ne sais pas danser"...Personne ne savait danser... Tout d’un coup, une petite voix se fit entendre, c’était Abeille qui revenait d’un grand voyage..."Il me semble que dans une clairière proche, j’ai vu des Elfes et des Fées danser... On pourrait peut-être leur demander de nous apprendre"... "Hourrah" dirent tous les insectes d’une même voix, allons vite les retrouver.

Le ventre toujours aussi vide, et complètement frigorifié, le petit groupe d’insectes s’approcha d’une clairière toute illuminée par les lucioles. Il y avait beaucoup de monde... Des fées de toutes les couleurs tournoyaient à toute vitesse dans des rondes vertigineuses tandis que d’autres sur le bord riaient à gorge déployée. Quelques-unes vinrent aussitôt à la rencontre de nos amies qui étaient bouche bée. Elles, qui étaient toutes tristes, ne savaient plus quoi faire devant tant de rires, de joies et de bonheur.

Cigale, la première se décida enfin à parler :"On voudrait apprendre à danser... Est-ce que vous voulez bien nous apprendre, demanda-t’elle aux Fées" ? "Mais avec grand plaisir leur répondirent celles-ci, on va vous montrer". Aussitôt chaque Fée pris une de nos amies par une patte et elles furent toutes rapidement entraîner dans une folle farandole.

En tapant ou grattant sur des objets divers, un groupe de lutins faisaient un bruit d’enfer..."Ce n’est pas du bruit, leur dirent les Fées, c’est de la musique et à vous toutes, vous pouvez faire aussi bien "que nous...

"Écoutes bien le rythme, dit la Fée bleue à la petite Cigale, tapes du pied, une fois, deux fois et reviens, donnes-moi la main, tournes et retournes, tu vas voir, ça va bientôt venir. Oublies tes soucis, ton ventre vide et laisses tes six pattes battre l’espace... Écoutes bien la musique, elle va finir par t’envahir... Laisses ton corps vibrer avec elle... Ça y est, tu viens de découvrir la danse"...

Au petit matin, avec l’arrivée du soleil, l’orchestre, épuisé, s’arrêta de jouer. Nos amies s’arrêtèrent enfin de danser. Depuis longtemps, elles n’avaient plus froid. Leurs hôtes avaient partagé avec elles les nombreuses victuailles amenées dans la clairière et elles se trouvaient bien rassasiées. Elles prirent congé, promirent de revenir et rentrèrent le Cœur en fête...

De retour, elles décidèrent d’aller remercier Fourmi de ce si bon conseil. Dans sa chaumière, elles la trouvèrent plongée comme d’habitude dans un de ses durs labeurs."Tu as là de quoi te nourrir pour un an au moins, lui dis Criquet... A quoi rimes de tant souffrir et de n’avoir en retour que le maigre plaisir d’avoir autant de provisions ? Tu es tellement fatiguée que tu n’as même plus la force de manger. Viens avec nous, on t’apprendra à danser et à faire la fête"...

Chacune argumenta à tour de rôle mais aucune ne réussit à la convaincre. Fourmi ne voulait entendre parler que de travail et jamais elle n’en démordit. De temps en temps, elle passait quand même près de leur piste de danse et chaque fois, elle était très étonnée d’y trouver tant de joie et de Bonheur.

Une fois, complètement épuisée, Cigale alla vers elle et lui demanda qu’est-ce qui l’avait mise dans cet état..."C’est parce que je travaille, lui dit-elle, bien au-dessus du nécessaire... J’ai mal au dos, mes genoux craquent et mon cou me fait terriblement souffrir. Je n’arrive plus à dormir tellement j’ai mal partout... Quand je vous vois toutes ainsi, plus virevoltantes les unes que les autres, je me dis que si je m’y mettais, peut-être trouverais-je enfin le plaisir de bouger, le plaisir de faire revivre mon corps"...

Malicieuse, Cigale lui répondit :

Eh bien, madame Fourmi,
Il n’y a pas d’âge pour commencer...

Dansez maintenant...





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